"Une conseillère plutôt qu'un gendarme"
Christelle Vetsch est la seule diététicienne du canton à consulter à domicile. Elle lutte contre la dénutrition de ses patients.
"Je suis désolée, c'est un jour sans!" Marie-Rose, 93 ans, nous reçoit dans son lumineux salon de Villars-sur-Glâne. Installée dans le bow-window, téléphone portable à portée de main, elle s'excuse de ne pas pouvoir nous servir elle-même à boire et nous enjoint à nous faire un café.
La nonagénaire souffre de vertige et de fatigue, conséquences de sa maladie et de ses traitements. La chimiothérapie lui coupe l'appétit alors qu'elle a besoin de toutes ses forces pour lutter contre le cancer. Véritable quadrature du cercle ! D'où l'importance des visites de Christelle Vetsch.
La diététicienne ASDD (Association suisse des diététicien-ne-s) travaille pour le Service d'aide et de soins à domicile du Réseau santé de la Sarine. Depuis 2021, elle sillonne le district pour suivre une patientèle souvent âgée et atteinte de pathologies multiples. Certains ont du diabète, d'autres rentrent tout juste de l'hôpital après un accident cardio-vasculaire.
Une population fragilisée qui risque une ré-hospitalisation rapide si elle n'est pas correctement prise en charge. L'alimentation joue un rôle essentiel dans cette phase de récupération. Et puis, il y a aussi la consommation d'alcool, parfois excessive, avec un impact direct et indirect sur la santé, puisqu'elle coupe l'appétit.
Une pionnière dans le canton
Les besoins sont donc importants mais Christelle Vetsch est la seule à occuper un tel poste en territoire fribourgeois, alors que dans d'autres cantons, la prestation existe depuis plusieurs années. De quoi étonner la jeune femme qui a travaillé précédemment en milieu hospitalier vaudois et qui avait l'habitude d'échanger avec des diététiciens et diététiciennes se rendant chez les patients. Mais elle espère bien voir ce genre de service se développer. Elle-même forme et sensibilise les autres soignants à domicile à l'importance de l'alimentation.
Et s'alimenter en ce moment, ce n'est vraiment pas facile pour Marie-Rose. La vue d'une assiette pleine l’écœure avant même de l'avoir entamée, alors qu'elle doit éviter de perdre encore du poids. La dénutrition, 80% des personnes que suit Christelle Vetsch en souffrent, en raison par exemple de leur pathologie comme c'est le cas de la vieille dame.
Il y a d'autres facteurs comme la perte de goût ou l'isolement social: manger seul n'est pas très motivant. Christelle Vetsch encourage ses patients à partager leur repas avec leurs proches, des amis ou des voisins ou encore à profiter des tables d'hôtes organisées par Pro Senectute.
Le croissant et le café au lait, alors ça c'est parfait
Marie-Rose, elle, est très entourée par sa famille. Une famille qu'elle régalait jadis de son fameux rôti de bœuf aux oignons. Aujourd'hui, la viande ne lui fait plus guère envie. Elle lui préfère les potages aux légumes, les gratins et un petit pêché mignon: "Le croissant et le café au lait, alors ça c'est parfait !" s'exclame-t-elle, avec gourmandise. Écouter ses envies, c'est un des mantras de Christelle Vetsch.
Mais avec des petites retraites et des prix qui augmentent, pas facile de pouvoir toujours se faire plaisir ou même d'acheter l'essentiel. La diététicienne le constate, la précarité augmente et avec elle les privations. Elle oriente alors ses patients vers des aliments moins chers, comme les "Prix garantie" ou "MBudget", qui apportent autant sur le plan nutritionnel que des produits de marque.
Et puis, elle rappelle ce concept "nose to tail" autrement dit "du museau à la queue": consommer l'animal entier, pas uniquement les parties dites nobles donc plus chères. D'autant que les personnes âgées apprécient souvent les abats ou un bon pot-au-feu avec une viande mijotée bien tendre plus adaptée à leurs éventuels problèmes masticatoires.
Une conseillère pas un gendarme
La consultation de Marie-Rose se poursuit. Christelle Vetsch récapitule ses repas, tandis que la nonagénaire se désole de ne plus pouvoir apprécier la bonne chère. "Quand on rentrait de l'école avec mes deux sœurs, se souvient-elle, on se disait qu'après la guerre on pourrait de nouveau manger des meringues à la crème..."
Et bien pourquoi pas s'offrir de temps en temps ce petit dessert bien riche, suggère la diététicienne. Et comme Marie-Rose le fait déjà: privilégier des petites portions plusieurs fois dans la journée, plutôt que des assiettes trop copieuses, dont la seule vue rassasie. L'alliance thérapeutique, c'est avec ce principe que la jeune femme travaille. Aller dans le sens du patient, ne pas contrarier ses habitudes mais trouver un compromis pour couvrir ses besoins journaliers.
Apparemment la recette convient à Marie-Rose. Ces visites, "C'est une très bonne chose, commente-t-elle, vous ne venez pas en tant que gendarme, mais en tant que conseillère !"